Moisés Naím

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Le FBI fera-t-il de Donald Trump le prochain président des États-Unis?

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

Le FBI jouera-t-il dans l’élection présidentielle américaine de cette année le même rôle que la cour suprême des États-Unis lors du scrutin de l’an 2000? Il y a seize ans, l’interruption du recomptage manuel des voix ordonné par la Cour suprême dans l’État de Floride a propulsé George W. Bush à la Maison Blanche et renvoyé Albert «Al» Arnold Gore à ses chères études. Cinq des neuf magistrats avaient alors estimé qu’il y avait épuisement du délai de contestation, de sorte qu’une seule voix supplémentaire d’un juge de la Cour suprême a pesé plus lourd que des millions de suffrages des citoyens américains.

Mais quel est donc le lien avec la présidentielle de cette année? Si, en 2000, la Cour suprême était l’institution qui a in fine déterminé qui serait le président des États-Unis, en 2016, le «grand électeur» pourrait bien être James Comey, l’actuel directeur du FBI. En effet, la police fédérale a ouvert une enquête sur Hillary Clinton afin d’établir si, alors qu’elle occupait la fonction de secrétaire d’État (de 2009 à 2012; NDLR), elle a mis en péril la sécurité nationale par l’envoi de courriels confidentiels du gouvernement depuis sa messagerie électronique personnelle. Si le FBI décide d’engager des poursuites à son encontre, la candidature d’Hillary Clinton au poste de présidente des États-Unis sera de fait annulée.

Disqualification

En pareilles circonstances, Donald Trump aurait de fortes chances de devenir le prochain président des États-Unis.

«Je peux vous assurer que je suis personnellement cette enquête de près, a déclaré le directeur du FBI, et je veux faire savoir que tous les moyens nécessaires sont mis en œuvre, tant au niveau des effectifs que des ressources technologiques. [Cette enquête] est menée en toute indépendance, avec compétence et diligence.»

Les patrons du FBI ont toujours joui d’un grand pouvoir discrétionnaire. S’il s’avère que certains messages n’auraient effectivement pas dû être envoyés depuis le compte email privé d’Hillary Clinton, James Comey est-il prêt à faire de Donald Trump le président de la superpuissance. Prêt à contribuer à un tel résultat pour les États-Unis et le monde entier?

Naturellement, un éventuel triomphe du candidat milliardaire ne serait pas uniquement imputable à la disqualification de son principal adversaire par le FBI. Les millions d’Américains qui auront voté pour Trump, séduits par ses discours, son style et ses promesses –et bernés par ses mensonges aussi– en partageront la responsabilité.

Bulldozer

Rien ne semble pouvoir arrêter le bulldozer Trump, qui continue de se rapprocher d’une investiture du Parti républicain à la présidentielle. Mais cette progression a déclenché la sonnette d’alarme parmi les cadres de cette formation politique, si bien que certains, à l’image de Mitt Romney, ont lancé de virulentes attaques contre le magnat de l’immobilier. Des voix commencent aussi à s’élever, remettant sérieusement en cause le rôle des médias, qui n’ont pas examiné comme il se doit le passé controversé de Donald Trump, ont omis d’exposer ses mensonges au grand jour ou de mettre en évidence le caractère non viable des politiques qu’il défend.

Philip Bennett, un journaliste respecté, professeur à l’université Duke (Durham, Caroline du Nord), compare l’attitude des médias vis-à-vis de Donald Trump au gravissime manquement à leurs devoirs qu’ils ont commis à l’époque où ils auraient dû enquêter de manière approfondie sur les prétendues armes de destruction massives de Saddam Hussein –brandies par l’administration Bush (en 2003: NDLR) pour justifier l’invasion de l’Irak.

«Cet aveuglement journalistique dans le cas de Donald Trump ne devrait pas être possible à l’ère d’internet, où les bases de données ou les moteurs de recherche permettent de vérifier une affirmation en tapant simplement quelques mots-clés sur un clavier d’ordinateur», déplore-t-il.

Banalité

Cependant, le grand protagoniste, encore mal compris et mal connu de cette campagne, n’est pas Donald Trump. C’est la partie de l’électorat qui semble faire fi des informations et des chiffres vérifiés ainsi que des preuves et constats irréfutables qui remettent en cause l’intégrité ou la sincérité de son candidat.

Les électeurs de Donald Trump sont régulièrement assimilés à des citoyens qui «en ont assez des responsables politiques» et sont majoritairement «des hommes blancs avec un faible niveau d’instruction». Bien qu’on ait dégagé ces caractéristiques à partir d’enquêtes, elles demeurent évidemment superficielles et insuffisantes. Les sympathisants de Trump sont plus complexes que cela. Ils présentent, par exemple, de nombreux points communs avec les partisans des mouvements populistes qui ont récemment émergé en Europe et ailleurs et qui ratissent aussi bien à gauche qu’à droite.

Ce qu’il y a de plus intéressant chez Donald Trump, en tant que produit politique, ce n’est pas son caractère exceptionnel mais au contraire sa grande banalité à l’heure de l’antipolitique. De «dangereux simplificateurs» prolifèrent avec la montée des incertitudes et la généralisation de l’angoisse dans la société, ce qui constitue un véritable phénomène mondial. Maintenant, on les trouve partout. Mais Donald Trump en est le plus redoutable spécimen et, en ce sens en tout cas, il est exceptionnel.