Ce que cachent les richesses pétrolière et gazière de la Méditerranée
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
La Grèce, la Turquie, la Syrie, le Liban, Israël et l’Égypte sont des pays aussi beaux qu’importants historiquement et forment une région où abondent les conflits. C’est de là que viennent l’écriture, les mathématiques, la bureaucratie, la démocratie, le christianisme, l’islam, le judaïsme ainsi que l’Empire byzantin. Beaucoup d’autres idées ou de nombreuses institutions qui font à jamais partie du patrimoine de l’humanité y sont aussi apparues. Mais les nations situées à l’est de la Méditerranée constituent également, depuis longtemps, une zone très dangereuse. L’une des plus instables du monde où sévissent guerres civiles, insurrections, invasions, famines, génocides, sécheresses, pirates et mercenaires.
Qui eût imaginé qu’en ce début de XXIe siècle la Méditerranée orientale serait en proie à une instabilité digne du Moyen Âge?
«Le Moyen-Orient moderne a rarement été une région paisible, mais la situation n’y a jamais été aussi mauvaise qu’en ce moment. [...] Pour constater un chaos aussi effroyable que celui qui règne actuellement au Moyen-Orient, il faut remonter jusqu’aux invasions mongoles du XIIIe siècle», écrit l’analyste Kenneth Pollack dans le numéro de mars-avril de la revue Foreign Affairs.
Comme on le sait, en ces temps de mondialisation, les conflits ont eux aussi tendance à s’internationaliser. Ainsi, des manifestations ponctuelles organisées dans les villes de Syrie ont fini par déboucher sur une terrible guerre civile, qui a contribué à provoquer, entre autres, la naissance du groupe État islamique et l’exode vers l’Europe du plus grand nombre de personnes déplacées depuis la Seconde Guerre mondiale.
Ressources inestimables
Mais, pendant que se joue cette tragédie sanglante, un événement surprenant s’est produit en Méditerranée orientale: la découverte sous les fonds marins de quelques-uns des plus importants gisements mondiaux d’hydrocarbures, et en particulier de gaz naturel.
Au cours des quinze dernières années, le prix du pétrole a oscillé autour de 100 dollars le baril, ce qui a encouragé les entreprises du secteur de l’énergie à explorer des zones qui ne revêtaient auparavant pas d’intérêt économique. Les coûts d’exploration et de production étaient élevés mais les prix aussi. En outre, un certain nombre d’innovations technologiques en matière de prospection pétrolière et gazière, ainsi que les progrès des techniques d’exploitation de gisements situés à des dizaines de kilomètres sous le fond de la mer, ont donné un attrait nouveau à des zones jusque-là commercialement inexploitables.
Après un lent démarrage, de nouveaux efforts se sont avérés payants. On a d’abord trouvé des gisements intéressants mais pas particulièrement vastes. Ces dernières années, cependant, les découvertes d’énormes réserves de gaz et de pétrole se sont multipliées. Selon le United States Geological Survey, l’Institut d’études géologiques des États-Unis, le bassin du Levant, qui s’étend de la Turquie, au nord, à l’Égypte, au sud, contient 3.500 milliards de mètres cubes de gaz et 1,7 milliard de barils de pétrole. D’autres experts estiment qu’il y a là-bas deux fois plus de gaz et environ 3,8 milliards de barils de pétrole.
Des quantités incommensurables! Par exemple, les gisements de Tamar et de Léviathan, découverts au large des côtes d’Israël, sont plus importants que la plupart des champs gaziers de la mer du Nord; ils pourraient alimenter toute l’Europe pendant deux ans. Et il ne s’agit là, en effet, que de deux gisements. En août 2015, on a découvert sur la côte égyptienne le champ Zohr, qui renferme l’équivalent en gaz de 5,5 milliards de barils de pétrole. Les eaux territoriales de Chypre ont aussi révélé une grande quantité de ressources, si bien que les efforts d’exploration se sont intensifiés dans le reste du bassin.
Nouvelle carte énergétique
Ces découvertes redessinent la carte énergétique de la région et de toute l’Europe. Leurs conséquences géopolitiques sont énormes. L’Égypte, Israël et le Liban pourront devenir des pays exportateurs d’énergie. En outre, comme ces nouvelles sources d’hydrocarbures se trouvent à proximité de l’Europe, elles représentent une menace sérieuse pour la Russie. Les concurrents méditerranéens de Moscou risquent de lui ravir ses clients européens, alors que l’économie russe dépend essentiellement des ventes de gaz à l’Europe. L’impact de ces nouvelles richesses dans cette région si sujette aux conflits est difficile à évaluer.
Mais, au Levant, rien n’est simple. Outre les conflits armés, les guerres civiles et les gouvernements instables, un litige frontalier oppose le Liban à Israël et Chypre reste une pomme de discorde entre la Turquie et la Grèce. Ces différends rendent incertaine la souveraineté sur d’immenses zones maritimes.
Finalement, la menace la plus grave qui pèse sur le potentiel énergétique de la Méditerranée orientale est la chute des prix du pétrole. Si ses nouveaux prix se stabilisent dans une fourchette de 40 à 50 dollars le baril, les récentes découvertes de champs de gaz dans le bassin du Levant n’auront pas de conséquence majeure. Mais si les prix augmentent et si les nouvelles technologies permettent de réduire toujours plus les coûts de production, les sources d’énergie fossile de la Méditerranée orientale auront un impact à l’échelle planétaire qui est aujourd’hui incalculable.